Croquez, Sirotez, Contemplez : Quelques Rendez-vous sur les Toits du Marais à Paris
- Isabelle Karamooz
- il y a 2 jours
- 4 min de lecture
Il y a des secrets que l’on hésite à partager, non pas par égoïsme, mais parce qu’ils sont si magiques qu’on redoute qu’ils perdent leur charme une fois trop connus. Les restaurants perchés sur les toits du Marais font précisément partie de cette catégorie rare d’enchantement. Aujourd’hui, avec vous, je lève le rideau de velours.
Imaginez : un crépuscule parisien tout en douceur qui s’installe sur les toits d’ardoise, le parfum des herbes fraîches et du bar grillé s’élevant de votre assiette, une flûte de champagne captant les derniers reflets du soleil tandis que la tour Eiffel commence à scintiller au loin. Ce n’est pas un rêve. C’est un dîner dans le Marais, mais pas n’importe où—là-haut, au-dessus de tout.
La première fois que je suis allée au restaurant Au Top, j’ai eu l’impression de découvrir un speakeasy dans les nuages. Niché au 93 rue Vieille du Temple, dans un immeuble qui ne laisse rien paraître depuis la rue, ce lieu porte parfaitement son nom. La cuisine navigue entre tradition française et légèreté méditerranéenne—poissons grillés, légumes de saison, mezzés aux parfums de côtes ensoleillées. J’y ai emmené un groupe de proches amis, et lorsque le soleil s’est couché derrière les reflets métalliques du Centre Pompidou, mes amis se sont tournés vers moi et m'ont murmuré : « C’est tellement magique ! » C’était vrai. Et ça, et ça l’est toujours. Le dôme de Saint-Paul, le bourdonnement de Paris en contrebas, et les rires qui montent comme les bulles dans nos verres.

Non loin de là, mais encore plus discrètement cachée, se trouve La Table Cachée—le repaire culinaire de Michel Roth, au sommet du BHV. Pour la trouver, il faut traverser le rayon lingerie. Oui, vraiment. Au-delà des délicates étoffes du 5e étage, derrière un rideau, se cache une porte menant à l’un des secrets les mieux gardés de la Rive Droite. Une amie parisienne me l’a fait découvrir, me racontant l’histoire du lieu autour d’un poisson parfaitement poché accompagné de morilles. Ce qui rend cet endroit si spécial, ce n’est pas seulement la renommée de son chef—Roth, lauréat du Bocuse d’Or et ancien chef du Ritz—mais aussi la chaleur humaine. Le personnel se souvient de votre nom. La vue donne sur les toits qu’on croirait dessinés au crayon par un artiste inspiré : zinc, lignes obliques, géraniums en pots et pigeons en vol. Tout Paris, tel qu’on en rêve, accompagné d’une tarte de saison.
Crédit Photos : https://www.bhv.fr/magasins/vivez-bhv/un-petit-creux/la-table-cachee-par-michel-roth
Permettez-moi maintenant un petit écart : Le Tout Paris, juste à la lisière du Marais. Je sais, techniquement c’est dans le 1er arrondissement, mais il serait impardonnable de ne pas le mentionner. Cette brasserie trône au sommet du Cheval Blanc, l’hôtel ressuscité dans l’ancienne coque Art déco de la Samaritaine, ce grand magasin mythique tant aimé des Parisiens depuis plus d’un siècle. Depuis le 7e étage, la vue est si cinématographique qu’on s’attend à entendre une musique de Michel Legrand. La Seine, le Louvre, l’île, Notre-Dame au loin—tout y est, baigné d’or et de lumière. J’y ai célébré l’arrivée imminente d’un nouveau numéro de mon magazine, savourant un poulet truffé et sa purée, tout en griffonnant les dernières lignes de ma Lettre de la Rédactrice en sirotant du champagne. La serveuse m’a souri : « Madame, vous avez là le plus beau bureau de Paris. » Elle avait raison.

Et puis, pour un voyage dans la légende, il faut gravir les marches de La Tour d’Argent. Ce n’est pas un lieu, c’est un mythe. Depuis 1582, elle veille sur la Seine, et lorsqu’on y dîne, c’est en compagnie d’empereurs, de présidents et de poètes. Saviez-vous que le président Kennedy y a dîné lors d’une visite d’État en 1961, émerveillé par la vue sur Notre-Dame ? Ou encore qu’Orson Welles y a dégusté ce qu’il considérait comme le meilleur plat de sa vie : le canard au sang ? Il règne ici une certaine solennité—peut-être due à l’ampleur des nappes impeccablement amidonnées, ou à la gravité de la carte des vins (qui compte plus de 300 000 bouteilles). Mais lorsqu’on regarde par la fenêtre, que l’on voit la lumière douce sur la rivière, les oiseaux passant devant l’Île Saint-Louis, on redevient un enfant, découvrant Paris pour la première fois. Le canard ? Légendaire, oui. Mais le souvenir de cette vue ? Encore plus.
Photos Credit: https://tourdargent.com
Et maintenant, un peu d’honnêteté. Il existe quelques autres rooftops dans le Marais qui sont… disons… plus tournés vers le selfie que vers l’âme. La terrasse du Perchoir Marais, par exemple, attire une foule dynamique mais évoque davantage un club qu’un lieu empreint de finesse. Le Georges, au sommet du Centre Pompidou, offre certes une vue spectaculaire, mais une cuisine souvent décevante et un service expédié. Quant à Maison Maison, au bord de la Seine, l’idée est charmante… la réalité, plus inégale. Si vous cherchez du cœur et de la saveur, restez fidèles à mes quatre premiers choix.
Un dernier conseil ? Allez-y tôt ou tard. Les rooftops ont leur heure dorée. Entre 18h30 et 20h30, vous saisirez cette magie que des artistes comme Utrillo ou Chagall ont tenté de capturer sur la toile. Prenez une écharpe, même en été—la brise peut surprendre. Et ne vous pressez jamais de partir après le dîner : un digestif ou un café pris lentement, c’est une vertu à Paris.
J’espère que ces lieux deviendront vos refuges comme ils sont devenus les miens. Depuis ces hauteurs, la ville s’ouvre comme un roman, chaque rue devient une phrase, chaque toit, un point de ponctuation. Il ne reste qu’à s’installer, trinquer, et lire la ligne d’horizon.
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